Transformer des personnes handicapées en sujets sexuels : pourquoi pas ? L’association barcelonaise Post-Op débarque à Lausanne du 15 au 19 octobre, à l’occasion du Festival de cinéma Underground (LUFF) pour expliquer, en actes, ce qu’un paraplégique peut donner et recevoir en matière de sexe.
Jouant sur les mots «porno» et «orthopédie», les membres de l’association Post-Op ont inventé le terme «pornotopedia» qui désigne l’ensemble des dispositifs permettant de faire l’amour avec un(e) handicapé(e) physique. Composée de trans-pédé-gouines et d’infirmes hétéros, bis ou sadomasochistes queer, l’association Post-Op ne se contente pas d’organiser des bals, des soirées ou des partouzes ouverts à tous-tes et surtout aux handicapé(e)s : elle milite pour que les espaces soient ouverts aux fauteuils roulants et réalise des vidéos explicites montrant des amputés, des poliomyélites ou des paraplégiques faire l’amour en couple ou à plusieurs. Un de ces films – Nexos – sera projeté au cours du LUFF, à Lausanne les 16 et 19 octobre, en parallèle d’une exposition d’objets sexuels destinés à tranformer notre regard sur les handicapé(e)s. La démarche se situe dans la logique du DIY : Do It Yourself. C’est-à-dire qu’elle met en demeure les personnes handicapées elles-mêmes de trouver les moyens de séduire, de jouir et de faire jouir.
Prenons une personne paralysée des jambes, par exemple. Perte de mobilité ne veut pas dire perte de libido. Reste à contourner les difficultés posées par la lésion du système nerveux : que faire lorsqu’on a perdu toute sensibilité dans la zone génitale et que l’excitation que l’on ressent se transmet plus aux organes ? Le pénis reste flasque. La vulve insensible. Parfois, lors d’un trajet en voiture par exemple, le pénis s’érige (la vulve gonfle, remplie de sang), sous l’action des vibrations qui produisent une stimulation mécanique… mais l’écoulement des fluides semble se dérouler dans un autre monde duquel on est coupé. Les nerfs lésés ne transmettent plus les informations entre le haut et le bas du corps ou alors de façon parfois très floue et frustrante. La solution, alors, ne tombe pas du ciel.
Il faut redessiner la carte des zones érogènes, répond Post-Op. «Les personnes qui ont d’autres corporalités, d’autres façons de se mouvoir, ont aussi d’autres sensibilités.» Il arrive que les nerfs endommagés se fraient un passage ou établissent des connexions différentes dans le corps, redessinant un paysage de sensations inédites. Un paraplégique peut jouir lorsqu’on lui masse le cuir chevelu par exemple. La surface même de sa peau devient sexuelle, dans les zones qui pour les valides correspondent à des espaces «morts»… Ce qui fait des jeux sexuels «inclusifs» (comme dit Post-Op) une occasion toujours intéressante de se remettre soi-même en cause. Les «valides» n’exploitent bien souvent qu’une infime partie des ressources de plaisir offertes par leur corps. L’extrême réactivité des handicapé(e)s à certaines caresses les rend d’autant plus aptes à initier les «valides» qu’ils ou elles ignoraient tout, avant l’accident, de cet univers-là des sensations. Un exemple ?
Parmi les jouets sexuels inventés à l’intention des paralysé(e)s, il y a ce fauteuil roulant équipé de mini-enceintes à basse fréquence, capables d’émettre des gammes de sons vibratoires qui se propagent dans le dos, les épaules, les bras, les cuisses de la personne en fauteuil roulant. Les mini haut-parleurs ressemblent à des pastilles disposées dans le dossier et le siège du fauteuil roulant. On peut les activer à la main ou avec un casque (tétraplégiques n’ont pas l’usage de leurs membres supérieurs). Il peut sembler étrange que des basses fréquences puissent procurer du plaisir… Cela fait partie des possibilités que nous excluons d’avance lorsque nous disposons de nos pleins moyens. Un autre exemple, basé sur le principe de la synesthésie consiste à amplifier sous la forme de bruit les tremblements, les frottements ou les caresses : «Ainsi vous pouvez entendre les parties de votre corps que vous ne pouvez pas sentir», explique Post-Op. Les dispositifs de substitution sensorielle qui permettent à des aveugles d’entendre ou de sentir tacitement leur environnement fait en effet parti des moyens les plus courants de contourner un handicap. Pourquoi ne pas appliquer ces moyens dans le domaine du sexe ?
Mais la technologie ici mise en jeu n’est pas «haute». C’est tout le charme des objets proposés par Post-Op : ils ont été mis au point dans la cuisine. Beaucoup peuvent d’ailleurs sembler extrêmement naïfs et bas de gamme. La faute aux moyens dont bénéficient ces gens qui, armés simplement de crayons ou d’un logiciel de retouche d’images mal maîtrisé, ont mis en scène les objets capables de les «toucher» ou de les métamorphoser en ce qu’ils nomment eux-mêmes une «sex-machine» ou un «cripple sex-toy» (estropié-jouet sexuel).
Du 15 au 19 oct. :»Pornotopedia». Exposition des objets sexuels conçus par Post-Op A la librairie - galerie d’art Humus : : 18 bis rue des terreaux – 1003 Lausanne – Suisse.
Jeudi 16 oct (de 17h à 19h) et dimanche 19 oct. (de 16h à 18h). Projection d’un film produit par Post-Op avec la collaboration de Yeswefuck :«Nexos». A la librairie - galerie d’art Humus : 18 bis rue des terreaux – 1003 Lausanne – Suisse.
Présentation du programme Pornotopedia du LUFF :»Questionnez la corporalité avec le collectif barcelonais Post-Op. Ce collectif issu de la rencontre d’activistes cripple-queer déconstruit, en partant de positions féministes les critères de normalité corporelle. […] Ces activistes avant-gardistes proposent de renverser notre conception de la normalité avec un documentaire intitulé «Nexos«et une exposition «Pornotopedia«.» L’exposition et la projection sont organisées par l’association bénévole Starlope.